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Le Magasin des Suicides (film)

Une réflexion sur la vie et la mort.

Article publié le 21 Fév. 2013

Adaptation du livre du même nom, je ne parlerai que du film puisque je n’ai pas lu l’oeuvre originale.

L’histoire se déroule dans une société en crise. Crise financière peut-être, mais surtout morale. On nous présente un monde gris, où la pluie semble être le pain quotidien des habitants (non, ce n’est pourtant pas l’Angleterre) et où la morosité domine sur le reste des sentiments.
Ces sentiments, les personnages n’en ont que peu. La vie n’a plus l’air intéressante, les gens ne semblent plus l’apprécier, et les suicides sont devenus une des principales (pré)occupations.

Le suicide. Sujet difficile à aborder, relativement tabou même chez nous, Français. Ici, le suicide nous est présenté comme normal, voire même le but ultime qui permet de s’échapper de ce monde inintéressant, de fuir ce “merdier” (cf. un des personnages), d’être enfin libre.
Puisque la grande mode est au suicide, certains ont décidé de s’adapter à ce mouvement et d’ouvrir leur magasin. C’est le cas de la famille Tuvache qui propose toute une tripotée d’articles pour réussir sa mort. Bloc de béton pour se noyer, poisons de toute sorte, cordes (tabouret en option), katana, lames de rasoir (dont des rouillées, au cas où le client se raterait), armes à feu, et bien d’autres. Rarement un magasin spécialisé n’aura été aussi bien fourni !

Il ne faut pas voir les propriétaires comme des gens sans coeur et marchands de mort. Leur souffrance est bien présente, mais leur ancêtre a su saisir un marché en plein essor qu’ils ont su entretenir. C’est donc par défaut qu’ils vendent une multitude d’articles mortels, et ils le font bien. Service après vente, conseils, on a là une totale dérision de la Mort qui n’est plus qu’un produit comparé à un banal parfum qu’on s’offre ou qu’on veut offrir.
Une dérision poussée à son paroxysme dans les rues de la ville, lorsqu’on apprend qu’il est interdit de se suicider sur la voie publique. Il fallait y penser ! Le cas échéant, la police se fera un plaisir de vous placer une contravention sur votre corps inanimé mais encore chaud. Le respect de la vie est totalement absent, ça ne semble même pas être une option.
Heureusement, les propriétaires du magasin sont sur le point de donner naissance à un petit garçon, lequel va bouleverser la vie des habitants. Ce dernier né est anormal : il sourit ! La joie de vivre est devenue une tare qui insupporte même ses propres parents. On assiste alors à quelques situations comiques avec un enfant innocent dont même le père va finir par vouloir se débarrasser.

Il n’est pas unique : sa petite bande copains est dans le même cas que lui, et à eux tous ils vont tenter à leur manière de changer les choses.

Le film en lui-même est visuellement très appréciable. On a un film 2D (avec quelques éléments en 3D) très fluide, très coloré et très bien inspiré. On pensera notamment au style de Burton, mais de manière légère et bien dosée. On observera des références plutôt sympathiques, et je soupçonne les auteurs de s’être lâchés en ayant fait pas mal de caricatures de personnes existantes ou ayant existé. Ce qui est très drôle, vous en conviendrez.
On nous présente une sorte de Paris grise, morne, sans réelle vie. Même les pigeons se suicident… (mais dans leur cas, on sera tous d’accord qu’un pigeon qui se suicide est un pigeon lucide !)
Les couleurs sont volontairement ternes, pour accentuer cette absence de tonus, de bonheur, de gaieté. Seuls les lieux et personnes différentes, qui se démarquent, sont pleins de couleurs.
A noter la présence de chansons (comme dans les Walt Disney et autres “musical movies”) plutôt bien pensées, qui ajoutent quelques moments de poésie (avec des rimes plus ou moins recherchées) et contribuent à la narration (contrairement à certains films où la chanson n’est qu’un divertissement qui n’apporte rien à l’histoire). En résulte une ambiance moins pesante que s’il avait été question de traiter seulement le sujet principal du scénario et par conséquent de déprimer le spectateur (quoiqu’avec ça, on aurait pu installer des stands de suicides à la sortie des cinémas !).

Revenons à la Mort (et la Vie, aussi !), thème principal et qui pousse à la réflexion (normalement…).
Le film nous présente la Mort comme une fin en soi, une échappatoire qui permet de fuir la Vie. Car il n’est pas tant question de mourir, mais plutôt de cesser de vivre. C’est une nuance extrêmement importante. Désirer mourir, et désirer ne plus vivre sont deux choses complètement différentes !
Et c’est ce qu’on nous présente avec les divers personnages.
Comment s’en aller de ce milieu désagréable ? Y a-t-il un endroit plus paisible ? Où trouver la tranquillité ?
Les personnages ne vont pas chercher à fuir géographiquement. On est confronté à un problème qui dépasse le plan sociétal. On fuit le plan astral, on quitte le monde des humains, on fuit l’Homme. Il n’a plus rien à offrir, tout a été (ou donne l’impression d’avoir été) fait.
Ce qui permet aux propriétaires du magasin de vivre ne sont pas leurs trois enfants (à l’inverse de tout individu normalement constitué appartenant à notre monde), mais le fait qu’ils doivent rester en vie pour que les autres puissent mourir (les très nombreux clients). On a là une situation perverse où la mort de quelques-uns empêcherait la mort de beaucoup d’autres, où la vie permet de donner la mort.
L’acte héroïque serait donc de refuser de mourir pour que les autres puissent profiter de notre vie dans l’espoir de mettre fin à la leur. Une situation tragi-comique, en somme. Une question s’impose : la société est-elle responsable des suicides, ou les suicides ont-ils créé cette triste société ?

Qu’est-ce que la Vie, alors ?
Dans le cas de cette société, un fardeau. Un poids que le temps alourdit, jusqu’à ce qu’un jour il devienne insupportable et pousse à l’irréparable. Irréaparable ? Oui, mais aussi inléluctable. On ne nous montre que très peu cette inéluctabilité, mais elle est bien présente : par les questions que certains personnages posent, par le suicide d’un vieillard déjà en fin de vie. Alors on se demandera : à quoi bon ?
Et puis le petit héros nous rappelle toutes ces petites choses inutiles mais qui rendent notre quotidien plus agréable et nous font oublier notre funeste destin : la danse, le toucher, la musique, l’Amour, la liaison, la nourriture…
Que d’inutilités sur le papier, mais ô combien délectables dans notre insignifiant présent.