Les Liaisons dangereuses - Lettre LXXXI - Correction des questions

Questions :
     1) Comment Madame de Merteuil se place-t-elle par rapport aux autres femmes ?
     2) Comment est-elle devenue la personne qu’elle est dans la lettre ?
     3) Observez comment la Marquise retrace son histoire. Que remarquez-vous dans l’utilisation du « je » ? Que pensez-vous que cela montre ?
     4) A votre avis, comment se situe-t-elle par rapport aux autres ? Quel regard porte-t-elle sur le monde ?
     5) Se pense-t-elle au même niveau que Valmont ?
     6) Quel est le rôle de Valmont par rapport à cette lettre ? Comment qualifier l’existence de la Marquise ?
     7) Telle qu’elle se décrit, expliquez son « être » et son « paraître », que vous comparerez aux autres femmes.
     8) Madame de Merteuil est une libertine (ainsi que Valmont). Essayez d’expliquer cette notion d’après les informations données dans la lettre et vos interprétations.
     9) D’après cette lettre, que dénonce Laclos dans la société du XVIII° ?

     1) Elle se distingue des femmes qu’elle considère comme (§3) oisives, qui tombent facilement amoureuses et se soumettent aisément aux hommes qu’elle qualifie « d’ennemi futur ». Elle se met hors du groupe des femmes en général (§4) : « qu’ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? ») et suit ses propres règles, ses principes (§4). Des principes pensés, réfléchis, à la différence des autres femmes qui les suivent par habitude.

     2) Madame de Merteuil nous raconte une partie de sa vie, depuis qu’elle était « fille encore » (§5). Dès son jeune âge, elle semble avoir compris que les discours qui lui sont tenus se détournent d’une partie de la Vérité, de la réalité du monde qui l’entoure. Elle décide donc d’être attentive à tout ce qui se dit et de s’en instruire. Cette écoute de l’interdit, du caché, lui a appris à feindre, à cacher elle-même ses sentiments (§6) : « je m’étudiais à prendre l’air de la sécurité ». Elle dissimule, feint la distraction alors qu’elle est en réalité concentrée sur ce qui se dit ou se fait autour d’elle. C’est une manipulatrice : des sentiments et de l’apparence. Dans le §7, elle nous dit qu’elle ne montre plus qui elle est mais ce qu’elle veut qu’on perçoive d’elle : « ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu’il m’était utile de laisser voir ». À 15 ans (§9), elle se considère elle-même comme géniale, possédant les « talents » d’un politique (on peut voir ici une critique des politiques, et une ironisation sur le mot « talents »). C’est une personne assidue et intéressée, qui apprend par elle-même (§10) et expérimente aussi. Son parcours est un parcours autonome. Elle n’a eu ni tuteur, ni tout autre maître pour lui apprendre l’art de l’artifice, de la dissimulation. On a là un auto-apprentissage, une exclusion volontaire de ce qu’on attend d’elle, c’est-à-dire son rôle de femme. Elle ne fait que jouer son rôle, un rôle qu’elle a forgé grâce au temps, à l’écoute et à l’observation.

     3) La Marquise ne parle que d’elle, elle s’explique, se justifie, utilise les autres pour justifier ses choix et comportements. C’est un « je » de narration, mais aussi un « je » de conquête, conquête du passé, mais aussi conquête du destinataire, Valmont (et le lecteur). Il ne faut pas qu’elle ait tort, elle ne peut pas avoir tort, il est incontestable pour elle d’avoir raison et que ses choix sont les bons. C’est un « je » à la fois égocentrique, puisqu’elle est au centre de la narration, au centre de sa pensée, les autres ne sont là que pour servir son argumentation et ses desseins, mais aussi excentrique puisqu’il sort de la normalité, elle est hors de la société, elle n’est pas dans le « centre », qui serait la définition de la femme de son temps.

     4) Elle joue avec les autres. Elle considère avoir compris le sens de la vie, le sens de l’amour qui n’est peut-être qu’un sentiment artificiel (§11) ou du moins relevant de la passion, éphémère. Le monde a tort, et elle le prouve en feignant le sentiment amoureux, en manipulant la société qui l’entoure, ses proches (§13 et 14) ses amants (§16). On ne dira pas qu’elle se sent supérieure, mais il y a un décalage, elle appartient à un autre monde qui ne suit pas les mêmes règles, les mêmes codes que les autres.

     5) D’emblée Valmont est mis dans le groupe des hommes (§1), il appartient aux hommes en général, elle ne le considère pas comme à part. (Effectivement, il est dans la normalité que les hommes au XVIII° puissent être des libertins) Il n’a donc au premier abord aucune qualité spéciale. Pourtant on se posera la question : quelle considération Madame de Merteuil a-t-elle pour lui, puisque c’est à lui qu’elle se confie dans sa lettre ? C’est un signe de confiance (même s’il est possible qu’elle ait quelque document pouvant le compromettre).
§13 : « je réussis facilement, comme vous pouvez croire » montre qu’elle sait comment Valmont la considère (ou devrait la considérer). Par cette remarque elle montre qu’elle est reconnue de Valmont.
§6 : « cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné ». Elle démontre son niveau, elle a étonné un homme (plus d’une fois), elle est donc exceptionnelle.
Du fait de sa condition (c’est une femme) et des efforts mis pour arriver à ses fins, il est légitime de la considérer comme égale voire supérieure à Valmont, qui lui n’a pas les contraintes du sexe (c’est un homme).

     6) Valmont est un confident, le seul (ou un des seuls) à savoir la vérité sur cette femme, à savoir qui elle est (au moins partiellement). L’existence de soi se fait grâce aux autres. Elle est reconnue en tant que libertine parce qu’il sait. Ceux qui ignorent ne peuvent la reconnaître, et en tant que telle elle n’est libertine que parce qu’elle-même se considère l’être. Or comment définir un statut si personne n’est là pour lui attribuer une valeur ?
Dans le cas de cette lettre, l’existence de la Marquise n’est avérée que grâce au destinataire qui lit la lettre. Le récit et les actes ne prennent leur valeur qu’à partir du moment où ils sont sus.

     7) La Marquise se concentre sur son paraître, ce que les autres perçoivent d’elle (§13 à 17). Puisqu’elle est complètement décalée de la société, des mœurs auxquelles elle n’a pas adhéré, elle ne peut se comporter telle qu’elle est vraiment, et doit jouer de subtilité pour se satisfaire. Les autres femmes se contentent d’être ce qu’on attend d’elles, elles adhèrent aux prérequis, à la vertu et au mérite (§14). L’être semble être conforme aux attentes de la société, et en admettant qu’il y ait du paraître (ce qui est probable), la mutilation est moindre comparé à celle de la Marquise.

     8) à voir selon les réponses des élèves

     9) Laclos dénonce une société d’hypocrisie et de conformisme. Il faut correspondre à un modèle, entrer dans un moule pour faire plaisir à des hommes qui eux n’ont pas les mêmes règles. C’est une société codifiée, où l’apparence domine sur les sentiments. Il faut se plier aux règles, se mutiler, se cacher, manipuler.


Synthèse
Pour devenir qui elle est, Madame de Merteuil a dû se former elle-même (auto-apprentissage) en refusant un rôle de femme que la société impose. Ce rôle de femme, elle le joue, elle fait semblant d’y appartenir. On assiste à une mutilation de soi, volontaire ou non, consciente ou non, qui reflète les (absences de) valeurs et travers de cette société. La Marquise échappe aux sentiments au profit de la pensée, de l’esprit, bien que les plaisirs charnels soient présents. Ces derniers seraient un outil, un moyen final pour que la proie obtienne le plein statut de victime.
Il y a une dissociation violente de l’être et du paraître, un déchirement créé par cette société inégale et dans laquelle il faut se plier aux règles. Il y a une aristocratie corrompue et débauchée, qui a perdu ses valeurs et a enfanté des libertins hypocrites et cruels. C’est une société de conformisme et de dissimulation, où l’hypocrisie règne et où l’apparence domine sur les sentiments.

L’existence de soi ne se fait que grâce aux autres. La Marquise affirme sa puissance et sa supériorité dans cette lettre, mais elle a besoin d’un lecteur, en l’occurrence Valmont qui est aussi un libertin, pour exister. Seule une personne appartenant au même monde peut lire sa lettre, puisque tous deux partagent le même mode de pensée. Sans personne pour la reconnaître, elle n’est qu’une femme parmi tant d’autres dans cette société.

Elle adopte alors la position morale du libertin qui consiste à penser par soi-même et à se construire ses propres règles de conduite, ses propres principes.
Le libertin a une liberté de penser et d’agir qui se caractérise le plus souvent par une dépravation morale, une quête égoïste du plaisir (qui peut être caractérisé par la souffrance d’autrui). La vie en société est présentée comme un jeu de dupe dont les libertins maîtrisent à la perfection les codes et enjeux. La séduction y est un art complexe que l’on entreprend par défi, désir ou amour-propre. La femme est identifiée comme une proie à « entreprendre », qui finit plus ou moins rapidement par céder devant son « chasseur ». On retrouve bien souvent le cercle de l’initiation (comportementale, sexuelle, etc.) faite par un autre libertin (rôle d’enseignant, de maître).

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